L’eau sans «o», un nouveau défi de twittérature
Cette année, j’ai la chance de vivre le Chantier Littérarité, Littératie et Tni (Chantier LLT), par l’entremise du Service National du Récit au Domaine des Langues. André Roux, qui en est l’animateur, m’a permis de revoir ma façon d’utiliser le Tni et d’aborder la littérature, dans une approche novatrice et très stimulante, autant pour les élèves que pour moi. Dans ce projet, nous abordons le thème de l’eau avec l’album Les enfants de l’eau. Dans un prochain billet, je présenterai un compte-rendu de cette expérience puisqu’en ce moment nous en sommes à mi-chemin dans son expérimentation.
Une des activités de ce Chantier LLT consistait, pour mes élèves, à demander aux abonnés de notre compte Twitter ce que représentait l’eau pour eux, dans le but d’alimenter nos discussions et en prévision d’une activité d’écriture. Les réponses ont été peu nombreuses, mais un tweet de Nathalie Couzon (@Nathcouz) a su titiller la curiosité des élèves.
Qu’est-ce qu’un Lipolys * ?
Suite à cet envoi, je me suis posé des questions à propos du terme « Lipolys * ». En effectuant une recherche internet, quelle ne fut pas ma surprise de ne pas trouver réponse à ma question ! Connaissant l’intérêt de Nathalie Couzon pour les défis d’écriture, et ayant eu vent, dans le Chantier LLT, du roman sans «e» Tourbillon et de Monique LePailleur j’ai obtenu les réponses que je cherchais auprès de ces deux généreuses personnes.
J’ai donc appris qu’il s’agit d’une façon d’écrire à partir d’une contrainte qui invite à omettre systématiquement et de façon délibérée une ou plusieurs lettres dans un écrit. Elle fait partie des contraintes popularisées par l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle).
L‘idée du lipogramme (même double et triple) a été retenue par le poète et créateur Strofka Méop qui a ouvert plusieurs groupes d’écriture littéraire sur Facebook, parmi lesquels figure Lipolys où les lettres « i » et « o » sont interdites. (Voir «Un bien étrange lipodrome»)
Lipolys*
(*néologisme créé par Strofka Méop)
Le lipogramme en classe
Quel est l’intérêt de ce type d’écriture ? Pour en avoir fait l’essai à quelques occasions, je peux dire qu’il s’agit effectivement d’un défi, et que le fait d’omettre certaines lettres apporte un regard nouveau et créatif sur la langue et les mots. Par exemple, comment exprimer que je vois un héron plonger dans l’eau avec la contrainte « sans o » ? Il s’agira donc de chercher des alternatives au mot « plonger » qui pourront mener à une écriture beaucoup plus fine, avec des mots qui sont moins utilisés, comme « s’abîmer », par exemple. Pour ce faire, le recours à des dictionnaires de synonymes peut s’avérer vraiment utile.
Pédagogue dans l’âme, Monique LePailleur fait état dans ce billet et dans celui-ci des multiples avantages que peut avoir ce genre d’écriture en classe et, plus précisément de l’intérêt de l’écriture lipogrammatique. Voici ce qu’elle m’a dit lors d’un bref entretien avec elle :
«L’intérêt consiste à aiguiser le regard des élèves et de justement se constituer des banques collectives à partir d’une contrainte linguistique identifiée. On peut aller à la chasse aux mots partout, dans les dictionnaires bien sûr, mais aussi dans les albums, dans les journaux, les revues, et même en regardant la télévision ou les panneaux publicitaires. On peut aussi chercher des prénoms, des verbes, des mots-outils, etc. afin de pouvoir composer des phrases par la suite.
En aiguisant ainsi le regard, on fait appel à l’analyse, donc on améliore forcément l’orthographe puisqu’écrire requiert le recours à un maximum d’indices visuels contrairement à l’acte de lecture où l’on crée facilement du sens en saisissant un minimum d’indices visuels.
Il est évident que pour repérer des mots, c’est plus facile. Les difficultés surgissent quand il s’agit d’écrire des phrases grammaticalement correctes avec des empêchements vocaliques ou consonantiques déterminés. »
Je mentionne également ce compte-rendu de Nathalie Couzon suite à sa participation au roman Tourbillon, où elle mentionne l’intérêt de son fils à l’aider à trouver des mots sans « e ».
Le Défi
Armée de ces témoignages plus que convaincants, et du support de Manon Richardson, enseignante de 2e année au Nouveau-Brunswick, voici donc L’eau sans « o », un défi lipogrammatique lancé à toutes les Twittclasses, peu importe leur niveau.
Le choix d’omettre seulement la lettre « o » permettra d’introduire les lipogrammes en douceur puisque selon la fréquence d’apparition des lettres en français, il s’agit de la voyelle la moins utilisée, avant le « y ».
Les classes voulant contribuer à la banque de mots commune sans « o », afin d’aider à l’écriture des tweets #eausanso , sont invitées à écrire leurs trouvailles dans cette liste: banque de mots sans « o ».
L’utilisation d’images permet souvent d’inspirer les élèves dans leurs écrits. Je suggère donc Tag Galaxy pour démarrer ce projet. Selon la réponse des twittclasses, il pourrait être envisageable de regrouper les tweets des élèves pour en faire un livre, qui sait ? Je souhaite à tous les enseignants, étudiants et élèves qui voudront prendre part à ce projet beaucoup de plaisir et de découvertes !
Des collaboratrices en or
Je remercie Nathalie Couzon, cette pédagogue avant-gardiste qui saura toujours me tendre des perches pédagogiques novatrices et Monique LePailleur qui a si gentiment accepté de m’aider à démystifier les lipogrammes et d’autres contraintes possibles à partir de son billet «Twittérature, formes brèves et contraintes bénéfiques » , qui représentent une nouvelle façon de travailler la langue et qui saura certainement intéresser les petits comme les grands !